Le vendredi 6 septembre 2013, Inside Corea s’est rendue au vernissage de l’exposition solo de l’artiste coréen Seung -Hwan ( Tonio) Oh, à la Kimjina Rhea “Galerie Ephemere”. Vous pourrez  y admirer les oeuvres de l’artiste jusqu’au 29 septembre.

Nous souhaitons remercier vivement Seung-Hwan de nous avoir ébloui avec ses photos multicolores uniques. Nous le remercions également de nous autoriser à publier sur notre site ses oeuvres dont nous vous invitons à découvrir le procédé de fabrication grâce à la curatrice de l’exposition, Haily Grenet.

 

Dans la définition que nous admettons d’une image, il s’agit d’une « surface signifiante sur laquelle apparaissent des éléments, lignes, couleurs, formes diverses, qui entretiennent des relations ne relevant pas de la logique verbale et textuelle, mais d’une dimension « magique » ».

Cependant en est il de même lorsque cet ensemble de signe disparaît ? Dans le travail photographique de Tonio Oh le visuel s’efface, pire ce que nous concevons comme image se fait attaquer, ronger à même la pellicule. À une époque où la création et l’apparition d’images est simplifiée et amplifiée, Tonio Oh la maltraite, afin de la rendre malade.

 

Pour Impermanence, Tonio Oh se frotte à la Science. Tout comme un microbiologiste, il développe un microbe qu’il dépose sur le film photographique. Avec ce procédé, après de nombreux mois, la pellicule se fait comme manger. Rongée l’image n’apparaît plus, au son sens traditionnel du terme, sur la surface de l’image, mais disparaît. Paradoxalement, en créant ses microbes, Oh propose un assèchement et un tarissement de l’image.

 

Ce projet a nécessité, à l’artiste, près de deux ans de réflexion, afin de perfectionner et tenter d’apprivoiser toujours un peu plus ce processus. La poésie de sa démarche et de ses images réside dans ce laisser-aller, dans cette incertitude. Ne maîtrisant pas complètement le processus, il demeure pourtant maître du désordre et chaos qu’il cultive avec précision pour donner une vulnérabilité, voir une fragilité à ses portraits.

 

Il est difficile de ne pas penser au roman d’Oscar Wilde en découvrant ce travail. A l’instar de Dorian Gray, les portraits offrent à regarder la capture d’un instant précis, un moment amené à disparaître. Dans les deux cas, les personnages deviennent décrépis et méconnaissable.  Le portrait de Lord Henry trahit une angoisse du passage du temps, à travers cette incarnation de la beauté masculine. Or dans le roman, le paraître inscrit un nouveau type de rapport à l’existence et à la temporalité de l’être, où la perfection physique serait la clef pour se jouer du temps. En réalité la trace, laissée par le jeune éphèbe, sera cette quête vaniteuse d’éternité et de résistance au temps. Tandis que chez Tonio Oh, les portraits relèvent moins du narcissisme que de la crainte de la perte ou disparition de l’homme.

 

À la manière des vanités européennes des XVII – XVIIIème siècle, l’artiste propose, avec finesse, une méditation sur le caractère éphémère et vain de la nature humaine. La filiation, avec ce genre pictural, est à comprendre dans ce travail intellectuel qu’il fournit.

Dans le cas présent, c’est dans le message intellectuel transmis par ces natures mortes, que la référence picturale est à comprendre. Ces peintures mettent en scène des objets, des allégories rappelant, aux initiés, le caractère impermanent et fugace de l’existence humaine. Les portraits présents pour cette exposition rappellent ce rapport à la mort auquel nous sommes indéniablement soumis. Ces sujets disparaissent et laissent place à une trainée de couleur informelle, malgré leur capture sur la pellicule.

 

Susan Sontag, dans Sur la Photographie, parle de cette image qui disparaît. Le succès de la photographie est à comprendre à travers cette perspective. Dès le début, elle a permit de fixer une copie du monde, au moment où toute la société entrait dans la modernité. Toutefois, observer ainsi le monde n’évite pas de le perdre de vue. Peu à peu cette « présence par l’absence » se transforme en « cela a été ». Le négatif se charge alors d’un souvenir, d’un rapport au passé, en somme d’un voile, qui transforme les sujets représentés en fantômes, ou en « spectre » pour reprendre le terme de Roland Barthes. L’image photographique comme représentation d’une chose,  n’est pas cette chose dans sa totalité, de sorte que, ce que nous sommes amenés à voir, par ce processus de distanciation et sacralisation via l’objectif, serait un débris, un fragment de la réalité.

 

Ces réflexions sont au cœur du travail de Tonio Oh. Avec Impermanence, il nous propose ce les restes de ces sujets. Par la décomposition de la pellicule, il s’affranchit du caractère magique, religieux et sacré, dont se charge l’image, pour nous rappeler la condition universellement précaire de l’homme, mais aussi de ce qui l’entoure.

Haily Grenet