Korean-Gang-Lunch

Photo prise par Yang Seung-Woo, ancien gangster devenu photographe

Le pays du matin calme souffle une brise, froide, invisible souvent, mais bien présente. Cette brise, certains la nomment mafia, d’autres la définissent comme une entité “yakusa à la coréenne”. Qu’en est-il vraiment?
Ici, nous l’appelons “Kkangpae”, littéralement “gangster”.
La naissance d’un gouvernement parallèle.
XIXe siècle, les empires coloniaux européens et la Corée de Joseon commercent à plein régime… Un régime, qui profite aux marchands, mais requiert également une protection que le gouvernement ne satisfait pas. Les partenaires européens amènent avec eux marchandises et richesses, mais aussi, aventuriers peu recommandables. Face à cette menace, des milices de protection se forment.
1905, la Corée voit son drapeau ensanglanté d’un point rouge. L’empire japonais est maître d’Asie. 35 ans de passivité de l’élite, laissant, avec plaisir, la lutte à des idéalistes qui rêvent de liberté et d’indépendance quelqu’en soit la voie.
Kim Jwa-Jin, le gangster idéaliste? Couvert de sang sur les mains, il sera une figure emblématique de la résistance. Un symbole, dont les parents furent assassinés, devenu gangster pour la rue, puis, homme politique pour les historiens coréens. Il mènera une lutte perdue d’avance contre les yakuzas, qui gèrent alors tous les besoins guidés par les plus bas instincts de l’envahisseur.

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Kim Jwa-Jin 


Suite à la mort du révolutionnaire mafieux coréen, les yakuzas opèrent une “fusion acquisition” des khangpaes, qui deviennent alors des antennes yakuzas.
“Bon sang ne saurait mentir”. Kim Doo-Han, fils illégitime de Kim Jwa-Jin, reprendra le combat contre les yakuzas. Le futur député célèbre la fin de son adolescence par deux assassinats majeurs. Les kkangpaes connaissent alors une nouvelle ère. “Le poing coréen” ou encore “les deux couteaux” reprennent leurs activités. Certains diront extorsion, et d’autres parleront de protection.

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Kim Doo-Han 

1990, L’existence des groupes mafieux devient officiellement prohibée. Depuis la brise idéaliste, le temps a changé, laissant place à une météo plus hostile. Drogue, prostitution, extorsion, financement du show business, blanchiment, armes… L’économie souterraine coréenne vit en plein jour, et se diversifie avec aisance.
Trente milles âme prêtent à acheter la vôtre. Peu mise en cause par la justice, avec moins d’un dizaine d’arrestation par an. Générant des millions de bénéfice par an, ces petites entreprises ne connaissent pas la crise. Seraient-elles utiles dans un pays où l’ascension sociale n’existe pas ou peu? Se pourrait-il, que ces kkangpaes offrent des opportunités et une rapidité d’action qui profite à tout l’océan social et économique coréen?
“On connait la valeur d’un homme par la qualité de ses ennemis”. Un peu avant les années 1980, Kim Tae-Chon a eu beaucoup d’ennemis, peu d’adversaires. A la pointe de son célèbre couteau à sashimi, il coupait les débats des opposants. Un argument d’une vingtaine de centimètre qui allait à la source du verbe: au poumon.

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Kim Tae-Chon  

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Couteau à sashimi 

Les films et les dramas, réalistes, mettent en scène ce célèbre couteau dont le très percutant “Dirty Carnival”. Serait-il possible que certains réalisateurs soient sponsorisés ou amis de ces gentlemens?

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Dirty Carnival 


Cette dernière grande figure mafieuse fut honorée par plus de cinq cents collaborateurs, à ses funérailles en 2012. (mort naturelle)
La mafia souffle dans toutes les rues de Corée. Légère en temps clair, comme une tempête lorsque le climat l’oblige. Vous ne la verrez pas. Elle ne se cache pas pour autant, leurs bureaux ont pignon sur rue. Les joueurs, ou les “boites à dettes” les connaissent, et savent que le jour où ils ont passé la porte du bureau, leur vie ne leur appartient plus. “Une boite est toujours utile, vide ou pleine.”

La naissance d’un futur Parrain ?

Appelez-moi “Boss”. Orphelin ou issu d’une famille pauvre, je n’ai que peu de choix pour réaliser mon destin. Je viens d’une ville de province, où la police a quitté sa fonction depuis que les grosses villes ont vampirisé toute leur région. Il y a donc des choses à faire. Je n’ai pas atteint l’adolescence, mais mes parents ont compris que je ne pourrais pas avoir d’éducation, alors on me confie au “pensionnat” de la dernière chance. A moins qu’un des petits chefs m’ait demandé de récupérer des enveloppes dans des commerces contre quelques wons, à manger et un toit ! Quel bonheur de manger chaud !

La vérité, vous ne la saurez pas. Etre Kkangpae implique du mystère.
Je regarde mes nouveaux grands frères avec peur et admiration. J’en vois certains tatoués, d’autres non. Nous vivons presque comme une milice armée. J’ai alors atteint l’adolescence, et on me propose de choisir ma vie. Choisir, selon mes capacités, un parcours étudiant payé dans une liste définie, soit continuer à travailler dans la rue. On ne travaille pas dans la rue. On façonne la rue. L’argent prévaut sur ma sécurité, je choisis la rue. Pendant cette période de ma vie, j’exécuterai… ce que l’on me demande.
Mon rêve? Partir de ma campagne, et signer chez les Seven Stars de Busan, ou encore les HSS de Suwon, ou chez les dangereux Double Dragon de Séoul. Mais pour cela, je dois faire mes preuves et construire ma réputation. Je ne peux pas arriver sans cicatrice dans ces grandes villes.
“Si tu as des cicatrices, c’est que tu ne respectes pas tes parents”. Dans mon monde, si tu n’en as pas, c’est que tu n’es ni digne de confiance, ni de respect.

Après avoir tenu le mur en bas des rues de nos commerces, à faire le guet, et montrer ma valeur lorsque le sang devait couler, j’ai pu avoir un petit groupe à moi. Je ne peux pas encore me vêtir comme je le souhaite, mais peu importe, j’ai du chemin à parcourir. Mon nom fait écho et j’intègre donc un des clans. Mon entrée dans le vrai jeu.
Très rapidement on me met à l’épreuve, et on me demande de faire assez pour montrer ma valeur, suffisamment pour montrer ma loyauté, et pas trop, pour montrer mon respect.

J’ai 25 ans, et j’obtiens enfin quelques commerces, et mes hommes. Les tatouages que j’ai dans mon dos marquent mon appartenance à mon groupe. Ceux que j’ai sur le torses montrent mes capacités. Ceux que j’ai sur les bras exposent mes faits d’armes. Je suis crains. J’ai une balafre qui marque ma valeur sur les champs de bataille. L’armée nous étant implicitement interdite, nous montrons notre virilité selon notre voie.

Je suis sous lieutenant. Je gère une rue. Mon lieutenant gère plusieurs blocs. Le boss, lui gère tout un quartier. Avec mon salaire à cinq chiffres, je suis habillé tout en noir, un costume deux pièces, les cheveux coiffés selon les règles, courts sur les cotés, et longs sur le dessus. Mon lieutenant lui a le choix de la coupe et des couleurs. Une marque de hiérarchie. Un code.

J’ai alors 33 ans, et je deviens lieutenant. J’ai échappé à la prison en utilisant des “porcs”. Des pauvres types sans argent, qui prennent la peine pour toi, contre une malette. Je mange alors à la table des grands. Mes contacts sont alors plus diversifiés. Mon corps est désormais quasiment  recouvert de tatouages.

Dix ans plus tard, mon boss prend sa retraite et choisit de se blanchir. Il me choisit comme successeur. Un grand honneur. Mérité. Quelques uns de mes lieutenants ne le voient pas d’un bon oeil. Je m’en occuperai en toute discrétion. Le sang qui coule dans la rue, coule aussi sur les billets… J’ai accès à tous les contacts, tous les réseaux, toute les ligues. Nous sommes partout. Mes projets sont entre l’ombre et la lumière dorénavant. Je vois mes projets et mes poulains à la télévision.
Rappelez-vous de cette proposition… D’avoir la possibilité d’avoir mes études financées. J’ai accès à cette base de donnée de ces diamants désormais polis. Précieux.
Je suis le Boss. Vous pouvez m’appeler comme ça. Je ne me retournerai pas, mais je comprendrai.

Article écrit par Ryosei Lee pour Inside Corea

 

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