Monsieur papa et les 100 gouttes d’eau
de Noh In-Kyung
[Rue du Monde – 2014]
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Il y a des signes qui ne trompent pas.
Hésitant depuis des semaines sur le prochain album jeunesse à mettre en avant, l’actualité de l‘édition française décide de me souffler la réponse.
En 2012, lors d’un premier séjour en Corée et d’un inévitable passage en librairie, je découvre cet album de Noh In-Kyung et, sans même lire le coréen, l’achète sur un coup de tête. Ou plutôt sur un coup de cœur. Heureusement pour moi, le livre est presque sans texte et l’illustration suffit à raconter l’histoire. Mais il y a de grandes chances pour que le contraire n’eût rien changé à l’affaire.
Deux ans plus tard, voici l’album publié en France. Et pas dans n’importe quelle maison d’édition mais chez Rue du Monde ! Petite maison investie et de très grande qualité.
Dans la savane, après l’avoir remplie à la mare comme de nombreux autres éléphants, un papa à bicyclette transporte sur sa tête une grande bassine pleine à ras bord. Cent gouttes d’eau qu’il doit apporter à ses éléphanteaux.
Ce qui semble tout d’abord être une mission banale s’avère très vite éreintante sous le poids du soleil puis chaotique sur des chemins cabossés avant de devenir effrayante voire carrément périlleuse. La vie dans la savane n’est pas toujours simple et l’eau est une denrée rare et nécessaire à beaucoup de monde et dans beaucoup de situations.
Monsieur papa, comme appelé dans l’édition française, se fait parfois voler quelques gouttes de cette précieuse eau mais sait aussi en faire don lorsque c’est nécessaire.
Sans doute entièrement réalisé à l’ordinateur, l’illustration peut d’abord sembler minimaliste. Elle est en réalité composée de nombreux détails.
Le lecteur se régalera à essayer de débusquer les animaux dissimulés dans la végétation et surtout à compter les 100 gouttes d’eau qui disparaissent une à une.
Noh In-Kyung réussit, dans ses décors simples, à transmettre au lecteur toute l’importance de cette eau grâce à un ingénieux contraste de couleurs. Le bleu, utilisé uniquement pour les gouttes, se détache du gris ambiant et permet de très vite faire comprendre qu’il n’y a rien de plus primordial que cette eau pour l’éléphant.
Les paysages réalisés à base de petits carrés rappelant des pixels sont parsemés d’émoticônes qui donnent le ton et traduisent à la fois l’atmosphère et les sentiments de l’éléphant. Ce dernier est d’ailleurs le seul à être dessiné de la main de l’illustratrice, d’un trait simple et presque hésitant, ce qui le dote d’un fort caractère humain.
Derrière ce travail d’illustration, l’auteur-illustratrice semble subtilement vouloir nous faire passer un message et nous ouvrir les yeux. Dans cet environnement hyper connecté et aseptisé dans lequel nous vivons, perdurent des valeurs essentielles. Noh In-Kyung tente de nous inciter à privilégier les choses simples comme se délecter d’un fruit, partager ce que l’on possède ou encore garder espoir… Et il n’y a qu’à voir la mine réjouie des éléphanteaux pour s’en laisser convaincre.
Monsieur papa et les 100 gouttes d’eau a été décerné d’un Golden Apple Award à la célèbre Biennal of Illustration Bratislava en 2013.
Illustrations de Noh In-Kyung extraites de « Monsieur papa et les 100 gouttes d’eau » © Rue du Monde, 2014