Un samedi ensoleillé à Séoul. Le premier jour du printemps, nous sommes le 4 février, il est à peine midi.
Le soleil frappe le métro qui m’emporte dans le sud de Séoul, direction Suwon.
Un araboji, casquette vissée sur la tête, USS INTRÉPIDE, un peu plus de 70 ans, peut-être plus. Ses chaussures vieillissantes, mais cirées impeccablement me révèlent qu’il ne roule pas sur l’or mais qu’il est soigné, et qu’il semble discipliné. Mon imaginaire l’envoie sur le front, ex-militaire, probablement patriote. Son pantalon, repassé comme celui d’ un G.I, finit de me convaincre.
Je sens son regard, pesant comme le froid de l’hiver, presque menaçant, comme le vent qui fouettera mon visage à la fin de mon voyage.
Après de longues minutes, il me déclare la guerre en coréen.
“Qu’est-ce qu’un Japonais comme toi va faire dans le sud de Séoul? Tu as des amis là-bas? Tu comprends ce que je te dis, le Japonais?”
L’arme est chargée, il attend ma réaction pour tirer.
“Mon père est Coréen, ma mère est Japonaise… Je comprends ce que vous me dites.”
“Pourquoi ton père a choisi une Japonaise? Les femmes coréennes ne sont pas assez jolies? Tu n’as pas honte de ton pays?”
“Mihan hamnida.” (excusez-moi)
Il baisse son arme. Je sens que j’ai du sursis.
Je baisserai donc les yeux et resterai debout jusqu’à la fin de mon voyage d’une heure et demie. Montrant ainsi mon respect et essayant de casser mon image de Japonais arrogant.
Avant de sortir, l’araboji me dit :
“Hey, gamin, couvre-toi, il fait froid dehors…”
Je ressens la même sensation comme lorsque le soleil me fixe comme un projecteur sur la scène du froid. Agréable.
Je suis en avance. Comme d’habitude. Je décide de prendre un café. La serveuse me pose une question, mais elle parle vite et je ne comprend pas. Je lui dis que je n’ai pas compris… avec mon foutu accent japonais… Je sens qu’elle est mal à l’aise. Le froid s’installe à nouveau dans ma journée. Elle me repose la question hésitante. Presque apeurée.
Le soir venu, je veux prendre un taxi. Les pilotes ont donc le choix de leur clients. Je rentre dans le carrosse sans savoir que cinq minutes plus tard, cendrillon “san” aura rendez vous avec sa citrouille.
“Je ne prends pas de Japonais !”
J’aurais juste aimé qu’il prenne mes wons et me garde au chaud.
“Ah, d’accord, courage pour votre travail !” (Sugo hasseyo…)
La nuit tombe. Je n’en veux à personne. Je ne me sens pas coupable non plus pour ces guerres passées. Je n’étais même pas né. Mais je comprends que, le passé ne s’efface pas, il n’est pas oublié… La distance affective entre le frère japonais et les deux soeurs coréennes est plus grande. Mais la seule réponse à apporter est le respect. J’imagine que cette grande famille asiatique partage l’argent, mais n’est pas amie pour autant. Certains parleront de racisme… Je parlerai de guerre. Une guerre ne finit jamais tant qu’il reste des combattants. Le mieux est d’appliquer le seul droit que l’on possède vraiment, se taire.
Le silence d’un homme introduit le respect.
Les mots développent la sagesse.
Les actes concluent le poème de l’homme honorable.
Ryosei Lee