Inside Corea s’est rendue à la projection du film Pieta, lauréat du Lion d’ Or du dernier Festival de Venise. Son réalisateur, Kim Ki-Duk était présent pour répondre aux questions d’un public composé de professionnels et d’amateurs du septième art. Voici, en exclusivité, un compte-rendu de la session de questions / réponses qui s’est tenue après la projection du film Pieta.
Cette question m’a été posée de nombreuses fois. Est-ce que je fais des films pour qu’ils remportent à des festivals ? Il est toujours difficile de faire apprécier ses films. Pieta est mon 18ème film. Il n’y a pas de méthode secrète pour réussir. Il suffit de raconter l’histoire que l’on souhaite et d’y croire. Pour répondre à votre question, j’ai évidemment été très heureux de remporter ce prix et surtout d’avoir eu l’opportunité de pouvoir davantage mettre en avant mes films grâce au Festival de Venise.
Entre L’Ile et Pieta, douze années se sont écoulées. Que s’est-il passé pendant cette période ?
Il y a un film qui a été un véritable tournant pour moi, il s’agit de Printemps, été, automne, hiver et printemps… J’avais l’habitude de faire le portrait de la violence à l’état pur. J’ai ensuite choisi d’utiliser une manière plus subtile pour montrer cette violence. Vous avez certainement pu le constater dans Locataires notamment. Pieta marque certainement un retour à cette violence crue que vous en soyez convaincu ou pas.
Trois de vos films ont été sélectionnés au Festival de Venise. D’après-vous, pourquoi êtes-vous autant apprécié par ce festival ?
Il semble que je représente une alternative au cinéma coréen. J’ai souvent attiré l’attention des médias ne serait-ce que parce des ambulances sont prévues lors de certaines projections de mes films. Il arrive que des personnes perdent connaissance lors des projections… Il n’y a pas que Venise qui m’apprécie et mes films ont été présentés à d’autres festivals (Cannes, Berlin…). Je ne saurais pas expliquer pourquoi Venise m’apprécie tout particulièrement mais je souhaite que mes films soient appréciés partout ailleurs dans le monde.
Etes- vous satisfait du nombre de spectateurs que Pieta a su attirer dans les salles obscures ?
Très satisfait. Je me situe à moins de 10 % de Masquerade et Les voleurs (NDLR : films les plus populaires au box-office coréen de 2012). Si mon film est inférieur en matière de nombre de spectateurs, je ne pense pas qu’il le soit en qualité. Nous avons reçu avant-hier les bénéfices de notre film que je vais m’empresser de partager avec toute l’équipe de production et les personnes qui ont travaillé dur sur ce film. L’un des acteurs affirme ne pas avoir été payé pour tourner dans ce film mais je peux vous garantir que c’est faux !
D’où vous est venue l’inspiration pour Pieta ?
Il est arrivé un moment dans ma vie où j’étais désespéré à l’idée de pouvoir refaire des films. Cela été devenu impossible pour moi de travailler. Je me suis isolé et j’ai tourné Arirang. Arirang n’était pas initialement destiné à être montré au public. Arirang est mon enfant tragique que je n’ai pas réussi à éduquer correctement. Ma chargée de production a tellement insisté pour qu’Arirang soit diffusé. Le résultat est donc différent de mon projet initial.
En ce qui concerne Pieta, je l’ai écrit en 2011, alors que je me trouvais à Paris. Pour le casting, j’ai sollicité Jude Law et Isabelle Huppert mais je n’ai reçu aucune réponse de leur part. J’ai tenté d’obtenir une réponse de deux autres acteurs mais sans succès. Je suis rentré en Corée et là, on m’a proposé deux acteurs travaillant pour la même agence. En quelques jours, mon choix était définitivement arrêté. Le tournage a ensuite duré 10 jours.
Le nom de Pieta est un symbole en plus d’être une magnifique statue de Michel-Ange. Pourquoi l’avoir choisi ?
J’ai eu l’occasion de contempler deux fois cette statue. En la voyant, j’ai tout de suite ressenti le pouvoir de cette femme qui tient cet homme dans ses bras comme elle tiendrait un monde cancéreux entre ses mains. J’ai tout de suite su que cette statue serait d’un futur projet.
Vos acteurs secondaires qui jouent remarquablement bien sont inconnus du grand public. Pourquoi les avoir choisis ?
Il est vrai que je crois énormément aux acteurs inconnus qui sont cependant plein de talent. Les gens ne viennent pas voir des acteurs mais une histoire. Je préfère donc leur donner l’opportunité de découvrir d’autres talents. Et c’est ensuite un plaisir de voir leur carrière décoller après avoir tourné un film avec moi.
Qu’est-ce qui vous inspire dans la vie de tous les jours pour que l’on trouve d’aussi belles images dans vos films ?
Je crois qu’images et films ont besoin avant tout d’une histoire pour avoir du sens. Une image n’est pas une entité à elle-seule, elle fait partie d’un processus avec un avant et un après. dans Pieta par exemple, les machines seules ne veulent rien dire mais intégrées à l’histoire, elles en deviennent belles.
Trois scènes sont particulièrement choquantes : la scène de tentative de viol, la scène anthropophagie et la scène de masturbation. Pourquoi avoir choisi ces scènes et que vouliez-vous montrer ?
C’est à nouveau tout un processus. Tu as tué mon fils et tu vas savoir ce que c’est que de perdre sa mère. C’est le fil conducteur. Bien qu’adulte, Kang Do est un homme qui est resté bloqué à l’âge adolescent au niveau émotionnel. Il fait encore des « rêves érotiques » d’ado. C’est cette femme mère qui va l’aider à grandir. Elle l’aide de manière irréaliste mais c’est aussi un moyen de montrer l’affection qui la gagne malgré elle. Quand elle mange un morceau de sa chair, c’est une sorte de test ou de jeu. La question n’est pas de savoir si elle est vraiment sa mère. Kang Do a un manque affectif démesuré et il a besoin de cette mère, qu’elle le soit véritablement ou pas.
Quel message pouvez-vous donner aux jeunes réalisateurs ?
Je crois que les films viennent du cœur. Le public peut entendre les battements de mon cœur quand ils regardent mes films. De plus en plus, les réalisateurs se concentrent davantage sur la technique que sur la réalité de la vie. C’est vraiment dommage. Je ne dirai pas que Pieta est un film de référence ; j’ai réalisé Pieta avec peu de moyens, peu de lumière mais avec de la passion et de la créativité et c’est ce qui compte. Il faut garder toujours un œil ouvert pour scruter la vie. La méthode et la technique viendront plus tard. Je compare un film a une horloge .C’est une source d’énergie remplie de petites pièces de la vie qui s’imbriquent les unes dans les autres qui permettent le mouvement, l’action. C’est complexe mais c’est le résultat est bon.
Que pensez-vous des réactions européennes concernant vos films ?
Mes films ne sont pas seulement appréciés en Europe. Il est difficile d’expliquer leur succès mais les commentaires des journalistes y sont certainement pour quelque chose. Ils réussissent à capter l’essence de mes films qui capturent les différents aspects de la vie. Mes personnages sont en souffrance mais heureux…
Quels réalisateurs vous ont inspiré ?
Je n’ai pas de réalisateur préféré. Ce n’est qu’après m’être lancé moi-même dans le cinéma que j’ai commencé à m’intéresser à d’autres réalisateurs. Le cercle du cinéma est immense. Deux réalisateurs cependant me viennent à l’esprit : Emir Kusturica et Lee Chang Dong.
La culture coréenne est bien ancrée dans vos films. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Il est vrai que l’on retrouve beaucoup d’aspect de la culture traditionnelle coréenne dans mes films : le « hanok » (NDLR : maison coreenne traditionnelle), la chanson Arirang…
Un critique a dit que je gagnais de l’argent facilement grâce à l’orientalisme qui est à la mode mais je ne suis pas d’accord. Je parle juste de la vie. Je suis un homme coréen donc cela me paraît naturel de parler d’un univers que je connais et d’évoquer des émotions et des sentiments universels. Mes films sont destinés à tous, pas seulement aux Coréens.
Pourquoi avoir aussi peu de dialogues dans vos films ?
Je vois beaucoup de films, notamment lors de festivals, malgré mon niveau très mauvais d’anglais. Beaucoup de situations n’ont pas besoin de mots pour être comprises. L’action peut combler le silence. Si j’ai choisi de mettre de moins en moins de dialogues dans mes films c’est pour qu’il y ait moins de mensonges et d’hypocrisie.
Certaines images de vos films laissent penser que vous aimez le luxe… Est-ce une réalité ?
Je ne parlerai pas de luxe mais de beauté. Je ne cache pas que je suis un esthète. Cependant une chose simple telle une fleur est aussi très belle à mes yeux.
Que diriez-vous pour conclure cette conférence ?
Je voudrais juste vous remercier d’apprécier mes films et vous faire comprendre mon combat quotidien : celui de faire tomber les préjugés un par un.
Caroline Boullay pour Inside Corea